Une amulette en plomb de la Sicile musulmane         


Voici une intéressante amulette de plomb provenant de Sicile. Elle pèse 5,78 g pour un diamètre de 25 mm et elle surmontée de deux attaches plus ou moins circulaires. Sur chaque face, un cercle contenant quatre lignes d'inscriptions en arabe est séparé d'une décoration marginale hachurée par une large bande vide. Le style semble assez fruste, avec des inscriptions assez peu soignées, composées de lettres de taille différentes, se chevauchant par endroit.

De tels talismans de protection sont assez courants dans les pays d'Islam. Ils sont généralement en plomb, matière peu coûteuse et qui se travaille très facilement. Ils peuvent être de formes très variables, les plus fréquents étant rectangulaires. Certains, comme celui-ci, sont monétiformes.



Le caractère protecteur ("magique") de ces talismans tient aux inscriptions religieuses, invocations à Dieu ou courtes citations du Coran, soigneusement reproduites par des lettrés, pour en garantir la rigoureuse orthodoxie.
Cet exemplaire présente une des inscriptions les plus courantes, la sourate 112 du Coran, dite de "la pureté de la foi". Elle énonce la croyance en la parfaite unicité de Dieu, critique implicite du dogme chrétien de la Trinité. C'est cette sourate qui figure sur le revers des monnaies omeyyades des VIIe-VIIIe s. (et en al-Andalus jusqu'au Xe s.).
Sur les amulettes, on la trouve généralement entière sur une face, associée au revers à une figure symbolique, comme l'hexagramme (ou sceau de Salomon). Dans le cas présent, on trouve sur une face les premiers versets :

قل هو
ألله احد
ألله الصمد
لم يلد
(Dis : "Lui / Dieu, est unique / Dieu, l'Absolu / Il n'a jamais engendré...), qui devraient se poursuivre ainsi sur l'autre face :

 و لم يولد
و لم يكن له
كفو
ا
 احد
(... et n'a pas été engendré non plus / et nul n'est / égal à Lui"). Mais c'est en fait une légende à la fois incomplète et présentant de nombreuses fautes qui a été gravée sur cette face :
لد
و[...] يملد
[...] له كو...
ا احد

(sic)

On trouve sur l'excellent site www.amuletosdealandalus.com (en espagnol), une amulette assez proche de celle-ci (n° 413), mais plus grande (elle pèse 11,05 g pour un diamètre de 40 mm) et surtout avec des inscriptions soignées, complètes et sans fautes. Elle est datée de l'époque fatimide (X-XIe s.).
Il est cependant possible que nombre de talismans de plombs découverts en Sicile, notamment dans le Sud-Est (Val di Noto), soient plus tardifs et datent en fait de la domination normande (1091-1194), voire du règne de l'empereur et roi de Sicile Frédéric II (1198-1250).
Bien que l'île soit alors passée sous domination chrétienne, les populations musulmanes restent dans un premier temps nombreuses et la culture arabe-musulmane bien vivante ; puis dans la deuxième moitié du XIIe siècle, l'émigration vers l'Afrique du Nord s'accélère, privant souvent
de ses élites culturelles et religieuses des populations villageoises de plus en plus isolées. On peut alors comprendre qu'à la fois le sentiment d'insécurité, mais aussi le besoin d'affirmation d'une identité religieuse menacée ait pu se traduire par la recrudescence de ces talismans coraniques.
  Notre exemplaire, quant à lui, bien fruste et portant des inscriptions fautives, pourrait être une copie tardive d'un exemplaire plus ancien et serait alors à dater de la toute fin du XIIe siècle.


Bibliographie :
De Luca M. A. (2004), "Talismani con iscrizioni arabe rinvenuti in Sicilia", Mélanges de l'Ecole française de Rome, Tome 116-1, p. 367-388
(disponible sur Academia.edu, en italien).
On pourra également consulter l'abondante bibliographie du site
www.amuletosdealandalus.com.